La Manufacture des toiles de Jouy

En 1758, un jeune ouvrier imprimeur sur toile, d’origine allemande, Christophe-Philippe Oberkampf, lien avec la notice personnalité, tente sa chance en France ; d’abord ouvrier à Mulhouse puis Paris, il installe à Jouy, en 1760, son propre atelier. Ouvrier étranger, immigré à 20 ans, imprimeur sur toile, il devint un entrepreneur de carrure internationale, naturalisé, anobli par le roi, décoré par l’empereur.

L’entreprise fondée par Oberkampf est un modèle d’industrialisation au Siècle des lumières, et l’épouse de son associé, Catherine Sarrasin de Maraise, faire lien notice personnalité qui géra la société depuis son bureau parisien, est à l’origine de la gestion comptable moderne.

la Manufacture par J.-B. Huet — Musée de la Toile de Jouy

Historique

En 1759, à la levée de l’interdiction en France de la fabrication des toiles peintes, de nombreux fabricants se lançaient dans cette industrie prometteuse. Oberkampf, technicien compétent mais sans fortune, accepta la proposition d’association de Guerne dit Tavannes qui apportait les fonds nécessaires.

L’entrée de la manufacture,
Album Labouchère
— Musée de la Toile de Jouy

Jouy-en-Josas aurait été choisi pour la qualité de son eau. La fabrication débuta en 1760, dans la petite maison du Pont de Pierre. La première toile, au motif du « chinois à la brouette », fut imprimée le 1er mai 1760.

toile le chinois à la brouette

Après des tribulations judiciaires, Sarrasin de Maraise se substitua au premier associé et assura la gestion commerciale, dont son épouse Catherine, femme d’affaires avisée, se chargea ensuite jusqu’en 1789.

L’emprise des bâtiments en 1765
parcelle 22 du terrier
AC Jouy

L'atelier artisanal installé en 1760 par Oberkampf et son frère dans la maison du Pont de Pierre est vite insuffisant pour faire face au succès de ses « toiles peintes », malgré l’adjonction d’un hangar non loin de là et la location de maisons au centre du village.  Grâce à l’apport financier de son associé Sarrasin de Maraise, Oberkampf achète en juillet 1764 quatre arpents de pré au seigneur de Jouy et y fait immédiatement construire les cinq premiers bâtiments d’une manufacture puis son habitation, l’actuelle mairie. La porte d’entrée de la manufacture se trouve au bas de la Grande rue.   

la manufacture vers 1774, détail d’une gravure de Liénard d’après un dessin de Lespinasse

Oberkampf agrandit son emprise en 1773 en louant au seigneur de Jouy la ferme de la Chaudronnerie et en achetant le moulin seigneurial. Les prés servent à l’étendage des toiles, et la force motrice du moulin fait fonctionner une machine à calandrer les toiles et des pilons pour broyer les matières tinctoriales.

La manufacture après 1793, gravure de Constant Bourgeois

En 1793, Oberkampf réalise une extension importante en construisant un grand bâtiment d’impression de 110 m de long sur trois niveaux, et une blanchisserie utilisant le chlore (nouveauté technique). Enfin, en 1806, il fait édifier un dernier bâtiment à usage de séchoir, qui sera appelé « bâtiment de la Légion d’honneur » en souvenir de la remise de la Croix de la Légion d’Honneur à Oberkampf  par  Napoléon Ier devant ce bâtiment. Les bâtiments sont implantés sur le tiers est des 14 ha de l’enclos de la manufacture, le reste est constitué des prés d’étendage des toiles. Les terrains clos par des haies puis un mur, sont limités à l’ouest par la route de Versailles, au nord par la rue des Bordeaux (rue Kurzenne de nos jours) sous le coteau des Metz et au sud par le bief du moulin.

contrat d’apprentissage de Louis Vitry, 14 ans en 1768 — ADYvelines

Ces installations permettent une importante production de toiles de coton imprimées aux motifs sans cesse renouvelés : polychromes (indiennes et Perses) ou camaïeux qui sont utilisés aussi bien pour les décorations d’intérieur (tentures murales, rideaux, parures de lit) que pour les vêtements (robes, cara cos, châles).

Renommées par leur qualité « bon teint », la diversité, la beauté et la finesse de leurs motifs, les toiles de Jouy sont vendues à la Cour à Versailles, à Paris, dans les grandes villes de province et les principales capitales d’Europe. L’établissement reçoit le titre de « Manufacture Royale de Toiles Peintes » en 1783.

la manufacture en 1821 — ADYvelines

Sa prospérité lui vaut d’être la deuxième manufacture du royaume en fonds propres après celle des glaces de Saint Gobain. De quelques ouvriers à ses débuts, son personnel monte à 900 employés vers 1780, puis 1021 à son apogée en 1805. Près des 2/3 des habitants de Jouy y travaillent, et si Oberkampf a fait venir une trentaine de compagnons suisses ou allemands, il forme aussi des jovaciens aux métiers de l’impression textile.

 Mais à partir de 1807 la manufacture périclite : les changements de la mode , les effets du blocus continental décidé par Napoléon Ier, puis les occupations prussiennes et russes de 1814 et 1815 sont ruineuses pour Jouy. Après la mort d’Oberkampf en 1815, son fils Emile échoue à enrayer le déclin, malgré des restructurations, une plus grande mécanisation et une diversification de la production. Après le décès de son cousin et associé Samuel Widmer, il s’associe en 1822 avec Barbet auquel il cède l’entreprise 8 mois plus tard. Barbet de Jouy abandonne en 1843.

affiche pour la vente notariée, 1845

La manufacture ferme ses portes après 83 ans d’activité ; il ne restait plus que 52 ouvriers. 

Après des tentatives de vente globale, les ateliers seront rasés, les terrains lotis, de nouvelles rues seront tracées qui permettront l’urbanisation du centre-ville que traversera également la voie ferrée

Voir les cahiers n°20 et le hors série n°1

Voir le site du Musée de la toile de Jouy

les métiers de la manufacture

Gottlieb Widmer, neveu de CP Oberkampf a inclus dans le Mémorial de la Manufacture une liste numérique des 1322 artistes et ouvriers employés dans la manufacture en 1804, par qualification, pour Jouy et l’annexe d’Essonnes ; Jouy en emploie 1021 en 1806 ; les dessinateurs résidaient tous à Jouy en 1817, peut-être les graveurs étaient-ils aussi rassemblés ?

Sur ce tableau de LLBoilly un gamin épingle des toiles au sol, en arrière plan une guérite et une brouette remplie de toile — Musée de la Toile de Jouy

En 1804 sont dénombrés :

  • 3 dessinateurs (il y eut aussi une dessinatrice, Mlle Jouannon, spécialiste des dessins de fleurs, qui épousa un marchand d’indiennes). Jean Baptiste Huet est le plus connu de ces dessinateurs, Lagrenée est inhumé à Jouy.
  • 5 graveurs en cuivre, 40 graveurs en bois. On a repéré en 1817 une (seule) graveuse.
  • 30 picoteuses (travaillaient à domicile à planter des fils de laiton dans les moules, qui marqueraient les fonds en semis)
  • 175 imprimeurs, rentreurs et rentreuses (appliquaient à la planche les 2ème, 3ème, 4ème couleurs) 
  • 190 tireurs et tireuses
  • 10 imprimeurs en planches de cuivre et cylindres gravés
  • 570 pinceauteuses (ajoutaient  à la main les couleurs non applicables à la planche)
  •  20 couturières
  • 6 coloristes ou aides
  • 6 hommes employés à la calandre
  • 2 pileurs ou broyeurs de drogues par machines
  • 8 auneurs et marqueurs de toiles, 3 emballeurs
  • 36 hommes aux teintures, aidés de 18 gamins
  • 4 hommes aux batteries, 48 tourneurs de rouleaux à laver
  • 24 ployeurs des toiles lavées, 4 brouetteurs des toiles mouillées, 10 hommes aux étendages
  • 6 hommes aux cuves des bleus
  • 10 hommes sur les prés, 54 gamins épingleurs  
  • 4 apprêteurs des toiles blanches

cette liste d’ouvriers ne comprend pas les commis, ni les voituriers, menuisiers, gardes ….